Le pacte des âmes
THANATOSOPHIA
réalisateur Franck Flanquart, auteur Idris Lahore
Lors d’une interview, l’auteur Idris Lahore a répondu aux questions d’une journaliste, Pascale Ash, pour la revue Science de la Conscience.
Q : Bonjour Monsieur Lahore. Vous êtes l’auteur du docufiction “Le Premier Souffle”, du réalisateur Franck Flanquart. Aujourd’hui, vous êtes en cours de tournage d’un long métrage avec le même réalisateur et ce film est adapté de votre livre “Lecture aux morts”. Ce deuxième film est-il la suite du premier ?
En réalité, il s’inscrit dans une trilogie, dont le docu-fiction est comme une introduction. Le thème du troisième volet sera la réincarnation. Mais la réponse à votre question est à la fois oui et non. Oui, parce que le thème de notre nouveau film est extrait du précédent. Non, car, cette fois, il ne s’agit pas d’un docu-fiction, mais d’un véritable film et les moyens mis en œuvre sont bien plus conséquents. Dans “Le Premier Souffle”, nous avons voulu montrer l’importance de l’accompagnement des mourants en reconstituant quelques scènes de la vie. Nous y avons ajouté de nombreux éléments documentaires d’archives et, enfin, le réalisateur a pu laisser libre cours à sa créativité dans des scènes représentant la vie dans l’au-delà.Aujourd’hui, dans “Le pacte des âmes”, avec son sous-titre “Thanatosophia”, nous racontons une histoire, ou plusieurs histoires, qui servent de prétexte aux idées essentielles que nous mettons en images.
Q : Vous parlez d’idées essentielles. Pouvez-vous préciser ?
D’abord, nous avons voulu montrer que nos défunts, ancêtres, parents et amis ont une vie après la mort, puis qu’il existe des mondes parallèles de l’au-delà, dans lesquels vivent les âmes des défunts.Q : Ce qui voudrait dire que, pour vous, il ne fait aucun doute qu’il existe une vie après la vie ? Non seulement ceci ne fait aucun doute mais, de plus, nous pouvons entrer en contact avec les âmes des défunts et entrer dans les mondes dans lesquels ils se trouvent.
Q : Ce sont là les idées que vous voulez trans-mettre dans ce film !
Ce n’est pas aussi simple… Sans vous révéler les mystères qui seront dévoilés au cours du film, je peux vous donner, en quelques mots, des extraits biographiques des deux personnages principaux. C’est d’abord l’histoire d’un homme, Damien, qui, pour des raisons très personnelles, qui sont l’un des mystères dévoilés plus tard, veut savoir s’il y a une vie après la mort et, si oui, dans quel monde, dans quel lieu, elle se déroule. Il veut, en effet, y accéder pour rencontrer ceux qui y vivent. La deuxième histoire est celle d’une femme, Ennea Tess Griffith, qui, de par sa profession d’anthropologue, s’intéresse à l’évolution de la conscience à travers les époques et, de par sa quête existentielle et spirituelle, a découvert le moyen d’entrer avec sa conscience dans les mondes parallèles, en particulier les mondes de la mort. Elle est même devenue la référence internationale dans ces domaines et a fait de ses recherches, de ses travaux et de ses découvertes une nouvelle branche de la psycho-anthropologie : la thanatosophie.
Q : Mais “Thanatosophia” est le sous-titre de votre film ?
Je sais ce qu’est la thanatologie, mais qu’est-ce que la thanatosophie ?La thanatologie étudie les mécanismes de la mort, en particulier les transformations corporelles après la mort ; elle s’intéresse aussi aux aspects sociaux et médico-légaux liés à la nouvelle situation créée par le décès d’un proche. Par contre, la thanatosophie ne s’occupe pas du tout de ces aspects. Elle est la science de la vie après la mort. En plus d’être une science, elle est également une sagesse, car elle ne véhicule pas seulement des connaissances et des pratiques, mais nécessite de se hisser soi-même à un niveau de conscience – et pas seulement de savoir – spécifique. Ainsi, si les connaissances relèvent de la recherche de la vérité, et les pratiques de la mise en œuvre de la volonté, le niveau de conscience est lié à la qualité spirituelle de la non-dualité qui, au-delà de l’objectivité froide du scientifique, inclut la notion d’acceptation chaleureuse, ce qu’on appelle parfois l’amour. De mon point de vue, on ne peut comprendre réellement que ce qu’on aime ou qu’on a appris à aimer et, de plus, on ne peut pénétrer consciem-ment dans le monde de l’au-delà qui si on a atteint un niveau spirituel suffisant qui permet d’en éviter les pièges et les illusions, en particulier ceux liés au manque d’équilibre psychique ou de maturité émotionnelle qui se manifestent par la peur ou l’anxiété, la vanité ou le besoin d’attention, l’avidité ou l’influençabilité…Notre personnage, professeur d’anthropologie et thanatosophe, est le prototype des scientifiques du futur, en qui la science se lie à l’amour, pour être une sagesse sur laquelle repose l’action harmonieuse. C’est d’ailleurs l’idéal de tout être humain évolué en qui l’association de l’intelligence et de l’amour est le marqueur de ses actes.Mais pour en revenir au scénario, il nous conduit à entrer en contact avec une triade classique : le bien, le mal et ceux qui sont tiraillés entre les deux. Le bien est représenté par cette femme qui incarne la sagesse et l’amour, la droiture et la force, la sérénité et la confiance en soi ; le mal, quant à lui, n’est pas représenté par un être particulier, mais par un monde parallèle, le monde intermédiaire qui retient prisonnières les âmes humaines. Le troisième élément de notre triade est Damien, un homme qui recherche l’enseignement de cette femme de sagesse, dans le but de se libérer du danger du monde intermédiaire et d’en libérer d’autres âmes. De fait, nous quittons la dualité occidentale entre le bien et le mal pour nous hisser à la notion de non-dualité d’un chemin d’évolution qui permet d’accéder à une nouvelle dimension en libérant des limitations pour réaliser les potentialités les plus élevées. Pour ce faire, notre héros ne peut ni renier son lien terrestre, ni rejeter les mondes intermédiaires qu’il est appelé à connaître et à traverser pour atteindre ce niveau supérieur. Ennea Tess Griffith incarne la femme d’amour et de sagesse ; la “forêt des âmes” représente le monde intermédiaire, perçu comme le mal ; Marc Tillocher est Damien, l’aventurier moderne en quête du Graal. Voilà les trois “acteurs” principaux entre lesquels se tissent les différentes intrigues. Les autres protagonistes sont, d’une part, les âmes prisonnières des mondes intermédiaires et quelques âmes libérées et, d’autre part, quelques scientifiques, journalistes, religieux et, enfin, la compagne de Damien, quelques-uns de leurs amis, ainsi que les étudiants d’Ennea Tess Griffith. Mes quatre chiens ont également accepté de faire un peu de figuration pour les besoins du tournage !
Q : On les avait déjà aperçus dans le docu-fiction, n’est-ce pas ? Est-ce un clin d’œil à votre amour des chiens ?
C’est ce que certains pensent, mais ce n’est pas la raison. Voyez-vous, je veille aux symboles que nous faisons apparaître tout au long du film et donc, ce que certains prennent pour une lubie ou un détail sans importance a, en réalité, une fonction symbolique. Ainsi, l’apparition des chiens sur le chemin initiatique de Damien a une signification profonde basée sur un archétype présent dans l’inconscient collectif de l’humanité. Si les chiens que vous rencontrez sur le chemin vous effraient au point de vous paralyser, c’est tout simple-ment la fin de votre aventure initiatique. De nombreuses mythologies décrivent l’archétype canin : si, dans la réalité ou dans vos rêves, vous rencontrez le chien de la mort, ceci signifie que vous mourrez dans les huit jours. Donc, la présence de mes chiens n’est pas une lubie hitchcockienne et il en est ainsi de nombreuses autres séquences symboliques. Q : Plus je vous écoute parler, plus je me demande à quel type de film je dois m’attendre ?Si votre question est de savoir quel est le genre dans lequel classer notre film, la réponse n’est pas si évidente car notre film est un mélange de genres. D’abord, c’est du cinéma fantastique ou surréaliste car il nous fait entrer dans des réalités parallèles à la vie ordinaire ; mais le sujet est aussi une vision du monde telle que les films d’auteur nous les proposent. Ainsi, j’ai proposé au réalisateur, au-delà de son savoir-faire, de mettre sa créativité et son art au service de ma vision du monde, tout en respectant les symboles et archétypes inconscients universels.
Q : Ce doit être un défi pour le réalisateur !
En effet, il doit mettre en scène mon intention d’auteur tout en invitant les spectateurs à entrer dans sa propre vision poétique. Son travail consiste à aider les spectateurs à intégrer. Le pacte des âmes des éléments non ordinaires, les mondes parallèles, dans leur propre monde. Il s’agit aussi d’une provocation à la réflexion et même, souvent, à la remise en cause des valeurs ordinaires, pour peut-être arriver à un nouveau positionnement existentiel.Toute la difficulté de la réalisation et de la mise en scène est sa relation avec mon intention originelle et ne peut être surmontée que dans le respect le plus strict de celle-ci, même si le réalisateur et moi-même ne nous sommes pas laissé limiter par cette idée que Louis Jouvet – même s’il parlait de théâtre – exprimait en comparant la mise en scène à un acte sacré conduisant à une “aveugle dévotion du metteur en scène” au texte de l’auteur. J’ai participé moi-même à la mise en scène, mais j’y suis toujours allé à reculons, ne voulant pas empiéter sur le travail du réalisateur. Cependant, je savais que ma présence pouvait parfois faciliter le respect scrupuleux de ma vision et de mon intention d’auteur, tout en garantissant au réalisateur la liberté et la créativité quant à la forme.
Q : Vous voulez dire que votre vision fixe le cadre dans lequel la créativité et la forme peuvent s’exprimer librement, pour autant qu’elles ne trahissent pas l’esprit ?
En effet. Et en cela, je partage la pensée de Berthold Brecht, pour qui l’art théâtral, ou cinématographique, est un instrument esthétique au service d’une grande idée.
Q : Quelle est la grande idée de votre film ?
Il y en a plusieurs dont nous avons déjà parlé, mais je peux vous les résumer. La première, c’est qu’au-delà du monde de la matière, il existe des mondes parallèles auxquels nous pouvons accéder grâce à une formation et un entraînement spécifiques. La deuxième : l’un de ces mondes est celui des défunts, avec lesquels nous pouvons avoir des contacts conscients, toujours grâce à notre formation.La troisième, c’est que l’accession harmonieuse, sûre et sans danger à ces mondes parallèles, aux âmes ou aux esprits qui les peuplent, entre autres les morts, est basée sur la compréhension et la mise en pratique des trois principes universels de la vérité, de l’amour et de la beauté.
Q : Je ne suis pas sûre de bien comprendre. Pouvez-vous expliquer un peu mieux ce que sont ces principes ?
Il faut d’abord savoir que ces principes ne peuvent se manifester que de façon fragmentaire dans notre monde relatif. Ainsi, la vérité se manifeste non par sa réalisation, mais par sa quête et ce, dans le respect de la recherche des autres ; l’amour, au-delà du respect, se manifeste par une bienveillance active marquée du sceau de la bonté ; quant à la beauté, elle est synonyme de créativité, celle qui permet de faire surgir des structures nouvelles hors d’un chaos préexistant, et non l’inverse. De notre point de vue, tout être humain est constitué de ces trois principes et aspire, consciemment ou inconsciemment, à les vivre.
Q : Après ces propos philosophiques, j’en reviens à des aspects plus pragmatiques. Votre but est de transmettre quelques fragments de vérité, de bonté et de beauté aux spectateurs… mais ne pensez-vous pas que vous risquez justement de montrer un monde trop idéal et surtout trop étranger au commun des mortels ?
Je ne pense pas. D’abord, le cinéma, donc ce film, ne doit pas être simplement une photo-graphie du monde tel qu’il est, mais la repré-sentation d’un autre monde, dans notre cas un monde parallèle ; il peut même être créateur d’un nouveau monde : celui-ci peut être extérieur par les images et le scénario et il peut même, en amorce, naître dans la conscience des spectateurs.
Q : Pouvez-vous préciser votre pensée ?
J’ai eu une longue discussion avec le réalisateur, qui me rappelait l’importance, pour les spectateurs, de s’identifier aux acteurs et aux situations qui se devaient d’être, au moins en partie, le reflet de leur façon de vivre, de parler, de se comporter, le reflet de leurs désirs, de leurs défauts et de leurs problèmes… Je lui ai alors expliqué mon point de vue. Le cinéma, en tant qu’art, doit au moins faire rêver et, au-delà du rêve, faire entrer les spectateurs dans des espaces nouveaux de la beauté, de la connaissance et de l’amour ; et je considère ce dernier comme le mode relationnel le plus élevé pour les humains. Ainsi, nos acteurs n’ont pas besoin de ressembler à l’ordinaire du monde connu, mais peuvent proposer une autre identification : l’exemple qu’on peut penser, ressentir et agir à un meilleur niveau d’humanité. Ce niveau n’est pas celui du conflit, de la violence ou de la haine parce que nos idées s’opposent, mais celui du respect de la différence et de la liberté ; ce n’est pas celui des réactions immatures ou névrotiques, mais des attitudes adultes et affirmées. C’est ainsi que chacun peut affirmer avec force et droiture son opinion, tout en respectant celle de l’autre. Il est vrai qu’il n’y a là de place, ni pour l’agressivité manifestée par la colère ou les agacements, ni pour celle qui, refoulée, s’exprime par la bouderie ou le ressentiment. Alors, ce que nous montrons a non seulement un effet esthétique, mais aussi un effet pédagogique.
Q : Votre discours n’est-il pas un peu moralisateur ?
Si vous vous sentez coupable de vos attitudes négatives ou conflictuelles, alors, évidemment, votre interprétation de ce que je dis sera morale, mais si vous essayez simple-ment de comparer les deux types d’attitudes possibles, votre discernement et votre bon sens naturels vous diront qu’il existe un niveau d’évolution psychologique, ou même spirituelle, différent selon que vous réagissez avec maturité, compréhension, sérénité et droiture ou avec l’immaturité de la colère, de la peur, du découragement ou de la volonté de dominer… Mais chacun, tout en restant libre de sa réaction, montre, à travers ses attitudes, son niveau d’humanité réelle et son niveau de perception éthique.
Q : La plupart des spectateurs n’ont peut-être pas ce niveau… ou encore qu’en est-il des enfants ou des adolescents ?
C’est bien la raison pour laquelle il est telle-ment important que nous leur proposions une vision alternative… Quant aux enfants et aux adolescents, il est normal qu’ils n’aient pas ce niveau car il s’agit bien d’un niveau de maturité qui s’acquiert par un apprentis-sage ou par l’exemple donné par les parents ou les éducateurs… ou après une profonde réflexion personnelle.
Q : Ceci signifie qu’au-delà de l’élément artistique, vous considérez le film comme le véhicule d’un enseignement ?
Oui, celui d’une éthique de la paix, de l’amour et de la sagesse dans l’intelligence.
Q : Selon vous, le cinéma ne pourrait plus être un divertissement ?
Bien au contraire, tout l’art du réalisateur sera de transmettre le message tout en divertissant les spectateurs. De plus, il existe de nombreux genres au cinéma et je ne vous cache pas que j’aime autant les films burlesques que les films d’aventure ou les films d’auteur. Mais vous savez, il existe une véritable “science des impressions” que l’on fait aux autres… Soit on montre son opposition par l’agressivité ou le conflit, le ressentiment ou l’ironie, soit on exprime cette opposition par l’affirmation sereine de son opinion et l’écoute respectueuse et tolérante de l’autre : ces deux dernières attitudes étant certainement le chemin le plus sûr vers une conciliation.Toute la difficulté de notre film est de suggérer ce niveau mature et non le niveau plus ordinaire afin que les spectateurs s’identifient au meilleur en eux.Mais pour en savoir davantage, je vous propose d’interviewer Franck Flanquart, le réalisateur.
Je n’y manquerai pas, car vous avez éveillé quelque chose en moi qui va au-delà de la simple curiosité. Monsieur Lahore, merci pour cet entretien.